Des ignorants ou des falsificateurs font reculer les bornes de l'odieux, en laissant croire que les crimes commis en Biélorussie durant la seconde guerre mondiale furent indifféremment commis par les nazis et les Soviétiques.
Il est temps de revenir quelque peu sur l'horreur de l'occupation nazie en Biélorussie, qui prit une toute autre mesure que les répressions staliniennes. 2 230 000 Biélorusses furent assassinés par les nazis durant les trois années d'occupation du pays. Cela représente le quart de la population.
Un recueil de documents témoignant de cette tragédie vient d'être publié à Minsk par les archives nationales biélorusses et par la fondation « Mémoire historique » (Moscou) sous le titre « La tragédie des villages biélorusses » (Трагедия белорусских деревень). Ces 212 documents, conservés aux Archives nationales biélorusses, sont des témoignages, des procès verbaux d'enquêtes réalisées par les unités de partisans durant la guerre puis par les autorités soviétiques après la libération. L'introduction, rédigée par V. D. Selemenev, archiviste en chef aux Archives nationales biélorusses, et N. V. Kirillova, rappelle les principales étapes de l'extermination. L'ensemble gagnerait à être traduit en anglais et en français.
Je reprends ici quelques éléments de l'introduction, pour illustrer ce que fut le joug nazi en Biélorussie.
En 1940, le plan nazi « Ost » prévoit la colonisation d'un large espace en Europe de l'Est d'où serait éliminée la population « de race inférieure ». Diverses directives de la première moitié de l'année 1941 blanchissent l'armée allemande de l'ensemble des crimes qu'elle commettra en URSS. On peut citer les « douze commandements de la conduite des armées allemandes à l'Est et leur relation avec les Russes » du 1er juin 1941. Le manuel du soldat allemand précise « Étouffe dans l'œuf toute pitié et tout sentiment de compassion. Tue chaque russe, chaque soviétique. Ne t'arrête pas, même si tu as devant toi un vieillard ou une femme, une petite fille ou un petit garçon ». Prenant prétexte de la lutte contre les partisans, les nazis commencent leur œuvre criminelle contre la population civile dès les premiers jours de l'occupation.
Au premier rang des victimes de l'occupation nazie figurent les Juifs. La République socialiste soviétique de Biélorussie compte, dans ses frontières de 1941, 1 million de Juifs. Ceux des régions orientales ont, dans une proportion importante, été évacués au début de la guerre. Mais la rapidité de l'avance allemande prend au piège les Juifs des régions occidentales et centrales. Les Einsatsgruppen A, B et C ainsi que la Wehrmacht commencent les massacres dès leur arrivée. On compte des milliers de victimes dès la première semaine de juillet 1941. Au cours du second semestre de 1941, la population juive de l'est et du sud du pays est exterminée pratiquement totalement. Rappelons que la moitié est de la Biélorussie occupée se trouve sous l'administration directe de la Wehrmarcht. Le pic de massacres fut atteint entre février 1942 et l'automne 1943. Plus de 550 000 juifs furent massacrés dans les régions centrales et occidentales du pays. Au cours de cette période les petits ghettos sont liquidés. Par exemple, le ghetto de Pinsk (ville du sud ouest du pays) fut liquidé sur un ordre d'Himmler du 27 octobre 1942. 26 000 personnes périrent, des mains de bataillons de police. La liquidation des ghettos importants de la Biélorussie centrale commence à la fin de l'année 1942. On estime que seuls 30 000 juifs (sur 1 million en 1941) survivent encore dans les ghettos à la fin de l'été 1943. Les derniers gros ghettos furent liquidés à l'automne 1943 : Białystok (aujourd'hui en Pologne), Glubokoe (dans le nord ouest), Lida (près de la frontière lituanienne). Les survivants du ghetto de Minsk sont fusillés le 23 octobre 1943. Les massacres se sont poursuivis jusqu'à la libération complète de la Biélorussie à l'été 1944 (liquidation des Juifs qui se cachent et des camps de concentration). Plus de 260 camps de concentration furent établis en Biélorussie. Au total, environ 80 000 personnes périrent dans le ghetto de Minsk, 58000 à Białystok et 22 000 à Brest. Presque 800 000 Juifs furent assassinés durant l'occupation nazie en Biélorussie. Ces chiffres viennent d'Ilya Altman, L'Holocauste et la résistance juive dans les territoires occupés de l'URSS : manuel pour étudiants, Moscou, 2002 (Холокост и еврейское сопротивление на оккупированной территории СССР: учебное пособие для студентов), p. 170-173.
Outre les Juifs, c'est l'ensemble de la population biélorusse qui fut victimes de la politique d'extermination nazie.
En juillet et en août 1941, au cours de l'opération « Marais du Pripiat » sont tuées 14000 personnes dans le sud du pays. En septembre et octobre, dans l'ouest, le centre et l'est, sont menées 10 opérations au cours de laquelle furent assassinées 7000 personnes. Les nazis pratiquent l'annihilation de villages entiers. Un décret du 18 novembre 1942 du chef de la police du Reichskommisariat d'Ostland, auquel est rattaché l'ouest et le centre de la Biélorussie occupée, précise : « l'expérience montre que les exécutions de masse et les incendies de villages sans liquidation totale ou déportation de leur population ont sur nous de mauvaises conséquences » (Archives nationales du Belarus, fonds 845, série 1, dossier 237, fol. 44-46, publié dans La tragédie des villages biélorusses, op. cit., p. 80-82).
En avril 1942, le rayon « Octobre » du voblast de Polésie, dans le sud-est, est totalement ravagé. En six jours, 13 villages sont détruits et 6500 personnes exterminées (rapport sur répressions allemandes contres les unités de partisans du rayon « octobre » du voblast de Polésie, 31 décembre 1945, ibid., fonds 1450, série 3, dossier 130, fol. 28-33, publié dans La tragédie des villages biélorusses, op. cit., p. 304-309). Du 25 août 1942 au 20 septembre 1942, l'opération « Fièvre des marais » est menée dans les régions de Minsk, de Brest et de Vitebsk. 10000 personnes furent tuées et plus de 1200 envoyées en travail forcé en Allemagne.
Le bataillon SS Dirlewanger à elle seule a exterminé plus de 200 villages et massacré plus de 120000 personnes. Son crime le plus connu fut commis, avec le 118e bataillon de police composé d'Ukrainiens, à Khatyn, à 70 km au nord de Minsk, le 22 mars 1943 (à ne pas confondre avec Katyn). Sur ce massacre, on peut se reporter au recueil de documents « Khatyn: tragédie et mémoire » (Хатынь: трагедия и память), publié en 2009 par les Archives nationales du Belarus.
A partir de 1943, les actions criminelles nazies sont renforcées avec l'aide de blindés et de l'aviation. Au cours de l'opération « Magie d'hiver », menée du 14 février au 30 mars 1943 contre les unités partisanes du nord du pays, 3500 civils sont massacrés par les nazis, 2000 envoyées en travail forcé en Allemagne et 1000 enfants sont déportés au camp de la mort de Salaspils, en Lettonie. 158 villages sont détruits lors de cette opération, parmi lesquels 45 ne furent jamais reconstruits. Dans le rayon d'Osveya, seuls 2 villages demeurent intacts.
Au cours de l'opération « Cottbus » en mai et juin 1943, dans le centre-est du pays, 10000 civils sont tués et 6000 déportés en Allemagne.
A partir de l'hiver 1943-1944, alors que l'Armée rouge commence à libérer l'est du pays, les nazis appliquent la tactique de la terre brûlée. Des commandos spéciaux de la Wehrmacht incendient les villages, massacrent ou déportent la population. Lors de l'opération « Fête de printemps », du 11 avril au 5 mai 1944, 7000 civils sont exterminés et 11000 déportés.
Au total, plus de 140 expéditions exterminatrices furent menées en Biélorussie de 1941 à 1944 par les nazis et leurs alliés. 5300 villages furent incendiés.
Les partisans soviétiques font ce qu'ils peuvent pour tenter de protéger la population civile. Dans la région de Brest (dans l'ouest du pays) fut par exemple organisé un groupe de combat dont c'était la tâche unique (décret du commandement des unités partisanes de la région de Brest, 6 juillet 1943, Archives nationales du Belarus, fonds 1450, série 4, dossier 365, fol. 53, publié dans La tragédie des villages biélorusses, op. cit., p. 193-194). C'est également un point évoqué dans la directive de Ponomarenko, secrétaire du comité central du Parti communiste biélorusse, aux responsables du parti clandestin et aux partisans du 21 septembre 1943 : « De toutes les forces et par tous les moyens protéger la population civile de l'extermination et de la réduction en esclavage. Aider le peuple à s'armer, à l'approche des Allemands, appeler à cacher ses biens, à se réfugier dans les bois et à emporter avec soi son bétail » (Archives nationales du Belarus, fonds 1333, série 1, dossier 12, fol. 25, publié dans La tragédie des villages biélorusses, op. cit., p. 215-217).
Voilà ce dont les Biélorusses furent libérés en 1944. On le voit bien, il y a une très nette différence entre l'occupation nazie et la période soviétique...